Interview de François Combeau
D’où vient le travail proposé par François Combeau ?Il y a beaucoup de chose que j’ai découvertes et apprises en m’intéressant à différentes méthodes et recherches, que ce soit en Neurologie et neurosciences (proches de mon métier avant d’être praticien Feldenkrais) ou en pédagogie… Comme tout un chacun j’ai vécu différentes “ crises ” ou ruptures dans mon parcours de vie. J’ai eu « la chance » d’avoir au milieu de tout cela :
Une chance pourquoi ? Parce qu’en considérant ces événements et ma façon de réagir dans chacune de ces situations, avec du recul, je me rends compte qu’ils ont été trois formidables (et je mesure mes mots) occasions de découvrir, mieux comprendre et avancer, trouvant les vrais fondements de ma personne, de mes inspirations et de mes aspirations. Dans les trois cas, le plus important pour moi a été de sentir qu’au milieu de la tempête il y avait une partie essentielle de moi qui n’était pas affectée par l’accident ou le traumatisme, un vrai potentiel de vie, de mouvement et d’action. Ce potentiel était toujours présent et intact même si j’étais dans l’instant incapable de l’exprimer. Je sentais cela à ma capacité de continuer à me sentir, me voir en mouvement, m’imaginer bouger, agir dans l’environnement. Cette image dynamique de moi-même, développée au cours de toutes les expériences de vie, et à l’occasion de ces leçons de prise de conscience que la méthode nous offre, était la véritable définition de ce que j’étais. Cela m’a aidé à ne pas m’identifier à ces difficultés du moment et donc à tout de suite aller de l’avant et évoluer. Lorsqu’il y a donc une vingtaine années, j’ai eu cet accident neurologique, nombre de mes collègues et amis m’ont très gentiment proposé de m’aider à retrouver l’usage de ce que je semblais ne plus savoir utiliser. Je dois dire qu’il y avait toujours après la leçon un mieux évident mais qui, la plupart du temps, était suivi d’un retour en arrière assez violent, comme si mon organisme n’était pas capable de prendre ce qui lui était communiqué, d’utiliser ce qui avait été appris. Ce qui manifestement m’aidait le plus à ce moment était d’être touché (dans tous les sens du terme), avec le propos essentiel de me donner l’occasion de me sentir, de sentir le potentiel de mouvement de chacune de mes articulations. J’ai le souvenir très clair encore aujourd’hui d’une main qui se posant sur une partie de moi, et qui, par la qualité de son toucher, semblait me dire : « est-ce que tu sens comme tu es vivant, les différentes directions dans lesquelles tu peux bouger », une main qui n’invitait pas à un mouvement ou une action exprimés mais qui me parlait de moi. J’étais plus que tout sensible aux regards que l’on portait sur moi, ce que je faisais ou ne faisais pas. Ceux qui m’aidaient le plus étaient ceux qui me donnaient l’occasion de me sentir cette personne que je me savais être et qui était capable d’évoluer et de récupérer, ceux qui manifestement me regardaient comme une personne capable de bouger, d’agir, une personne pleine de potentiel, une personne à part entière et non une maladie, un handicap, une limitation. Une qualité de toucher et de regard que je crois reconnaître lorsque je regarde une vidéo de Moshé Feldenkrais donnant une séance d’Intégration Fonctionnelle et qui, d’une certaine manière et dans bien des cas, me semble aller bien au-delà de la technique même de ce qu’il propose (sans pour autant minimiser l’extraordinaire conception et organisation de son travail). Bien sûr, quand on en parle, c’est évident. Quand on le vit personnellement cela prend tout son sens et croyez-moi, la différence est là et elle prend tout son sens. Elle vous marque. Alors bien sûr cela m’a posé question pour ma propre pratique et aussi pour ce qui est de l’enseignement de la méthode et du développement des capacités nécessaires à la pratique de son art. Comment un praticien peut-il regarder, toucher l’élève, sentir, et lui faire sentir aussi, ce potentiel de mouvement et de vie, ce possible inhérent à sa structure, à son état d’être humain capable, sans même avoir besoin d’exprimer ce potentiel ? De là est venue, développée au cours de nombreuses post-formations que j’ai animées, toute une série très structurée et progressive de mises en situation et de pratiques dont le propos est essentiellement de permettre à chaque étudiant de développer ces capacités à voir, sentir et imaginer l’autre en mouvement au-delà de ce qu’il peut exprimer, de sentir en posant sa main les directions dans lesquelles le mouvement et l’action pourraient se développer, percevoir qu’est ce que cela engagerait et comment l’ensemble que représente cette personne se réorganiserait pour aller dans ces directions. Toucher la personne d’une façon qui déjà lui permet de sentir ce potentiel, ces possibles qui sont là même si il ou elle ne peut dans l’instant les exprimer.Poser aussi par exemple sa main sur la cheville de la personne et sentir de quel côté la tête tournerait le plus facilement, percevoir comment la force passerait plus ou moins facilement tout le long du squelette, si on poussait ou tirait légèrement… sentir comment la personne agirait dans différentes situations. Regarder une personne peut-être hémiplégique et pouvoir la voir marcher, non pas dans une sorte de positivisme mental mais grâce à cette capacité de voir l’autre en mouvement, en action, avant même toute expression, voir ce qu’elle engagerait, ce qu’elle n’engagerait pas ou qui limiterait son engagement dans l’action… De telle façon que la référence en amont de tout travail que l’on va proposer soit cette personne bougeant, marchant, parlant, agissant dans le monde qui l’entoure. Une autre expérience qui m’a nourrie : de mes cours de dessin et croquis de modèle vivant, j’ai retenu ce que notre professeur disait si souvent : « Mais vous ne pouvez pas réduire l’existence du modèle à la description des parties qui le composent. C’est l’expression des relations dynamiques entre ces parties et leurs interactions avec l’espace, l’environnement, qui fait la vie du modèle et définit ce qu’il est et comment il est organisé. Relations d’espace et de rencontre, d’ombres et de lumières, de lignes de force, de points extrêmes comme autant d’étoiles qui définissent une constellation… » Tout ce travail sur des années m’a considérablement aidé à « voir » au-delà de ce que je pouvais regarder, saisir l’autre dans sa réalité qui surgit et s’impose plutôt que de l’analyser à travers une grille de lecture si habile soit-elle. Ce travail m’a beaucoup aidé dans l’enseignement de la Prise de Conscience par le Mouvement®, à mieux comprendre le lien, ce qui fait que la leçon est une véritable intégration qui fait du sens. Au cours de post-formations sur « L’art d’enseigner la PCM », j’ai conçu toutes sortes de scannings ou éveils (qui sont devenus en se développant de véritables leçons), utilisant certains exercices de regard que nous pratiquions dans ces cours de dessin. Je ne peux ici que donner quelques exemples :
Cette idée, par exemple, s’est ensuite très vite développée dans la pratique de l’IF : comment adresser telle ou telle vertèbre depuis un pied, un doigt de main, le bassin… Mieux comprendre les schémas d’intégration.
J’ai observé au cours de toutes ces années d’enseignement comme cela aidait chacun (et moi-même le premier) à se situer et à prendre conscience des conséquences de ses actions et mouvements dans l’environnement, accorder le dedans et le dehors pour pouvoir se situer pleinement dans le monde dans lequel nous vivons et par rapport aux autres. On pourrait ainsi donner de multiples exemples. J’ai d’ailleurs conçu un séminaire sur le thème « Une image dynamique de soi » qui reprend tous ces éléments, choisissant des séances du répertoire « Feldenkrais » et en créant de nouvelles situations d’apprentissage fondées sur ces « exercices de regard », pour illustrer le propos. J’ai été fasciné par ces outils et leurs apports dans mon enseignement des séances de Prise de Conscience par le Mouvement® et d’Intégration Fonctionnelle® (séance individuelle), passionné de constater comme ce travail avait fait évoluer mon regard et ma capacité à voir, à considérer le vivant d’emblée dans ce qui est et dans sa réalité dynamique, infiniment plus riche et complexe que la description même savante des parties qui le compose … Pouvoir pressentir ce qui parfois ne se met pas en mots, ne se détaille pas mais fait que chacun est ce qu’il est, dans sa richesse, sa complexité, son avant et son après. « Le véritable lieu de naissance est celui où pour la première fois on a porté un regard intelligent sur soi-même ” écrit-elle dans son livre « Les mémoires d’Hadrien » Dans l’enseignement de post-formations sur ce thème, j’ai constaté comme cela aidait les praticiens présents à affiner leur propre capacité à voir, sentir, imaginer l’autre en mouvement, pressentir les conséquences qu’auraient un mouvement, une action sur l’ensemble de leur organisation, capacité aussi à donner des directions plus claires et pertinentes par rapport à l’intention, des directions qui permettent un vrai passage de la force… |