Interview de François Combeau
Pour un site Internet de Pratique SomatiqueFrançois Combeau, c’est mon nom, je suis enseignant depuis trente-cinq ans. J’ai commencé par enseigner le travail de la voix et du chant classique, étant moi-même chanteur, et puis j’ai très vite compris que ce n’était pas la voix qui était en cause dans les limitations, gênes ou éventuels problèmes… mais qu’il s’agissait plutôt d’une inadéquation dans la façon de se tenir, la façon de gérer ses mouvements et sa respiration, la capacité de se mettre en relation ouverte et disponible avec le monde environnant… Donc, très tôt, j’ai introduit le mouvement dans ces séminaires sur le thème de la voix, tout d’abord sous la forme de gymnastique d’échauffement puis de façon plus spécifique, utilisant les notions développées dans les arts martiaux, le Yoga, la relaxation… Comme j’avais déjà de nombreux groupes d’élèves, j’ai tout de suite eu l’occasion d’intégrer ces principes et façons de faire dans mon propre travail pédagogique. Et de développer mon propre Centre de pratique, il y a maintenant une trentaine d’années. Par la suite je suis devenu Assistant–Formateur de cette Méthode puis Formateur, c’est-à-dire formateur de futurs praticiens. C’est à ce titre que j’enseigne dans des Formations et Post-Formations professionnelles Internationales. Toutefois je continue à être absolument passionné par le travail avec le public, c’est-à-dire « monsieur et madame tout le monde » qui se pose des questions, qui, à un moment donné, rencontre une difficulté, a envie de s’en sortir, de regarder la vie autrement, toute personne qui n’est pas satisfaite de sa façon d’agir et de vivre, qui cherche à travers ce travail ou la rencontre avec moi en tant que praticien/enseignant, une façon de sortir de ces impasses, de se développer, de s’enrichir et de grandir pour être chaque jour plus soi-même. Et comment êtes-vous rentré en contact avec cette Méthode ? Comment y êtes-vous venu ?C’est tout simple, comme c’est le cas de la plupart du temps. J’ai eu un très gros accident à un moment donné de ma vie et, de l’avis des personnes consultées, j’étais supposé, vu l’état des dégâts physiques, être dans un petit fauteuil roulant à l’âge de trente ans. J’étais jeune adulte, je ne pouvais m’imaginer dans cette situation, je n’en avais pas envie, et me suis donc intéressé à de nombreuses approches et pratiques dans des domaines très variés. Par des relations, j’ai notamment rencontré un kinésithérapeute passionnant qui m’a tout d’abord fait travailler individuellement dans son cabinet. Puis j’ai appris au cours de nos conversations qu’il animait des séminaires de développement personnel et somatique (Utilisant les arts martiaux qu’il pratiquait à un haut niveau, le Tai chi et le Qi Qong, les techniques de relaxation/détente de Jacobson, les principes de la médecine chinoise, la méditation et l’ouverture vers la conscience spirituelle, il était un des premiers disciples de Maitre Deshimaru…). J’ai suivi ses séminaires très régulièrement et avec beaucoup de passion, pendant 25 ans. Il se trouve que ce Monsieur Jean Picard, par ailleurs assistant du Dr de Sambucy (Docteur en médecine et en physique qui avait beaucoup travaillé sur la Psychosomatique de la colonne vertébrale), avait à ce titre rencontré Moshe Feldenkrais. Il avait retiré de cette rencontre un certain nombre de leçons de « Prise de conscience par le mouvement®» qu’il avait aussi puisées dans le livre « Energie et Bien-être par le Mouvement » et qui apparaissaient très régulièrement dans son enseignement. Il nous disait toujours que s’il y avait une méthode psycho-corporelle qu’il pouvait nous conseiller, c’était certainement celle de Moshé Feldenkrais. Lorsqu’au cours de ce week-end ils ont annoncé l’ouverture d’une première formation professionnelle à Paris, j’ai eu tout de suite envie de me lancer dans l’aventure des quatre années de formation et me suis inscrit. J’ai toujours été, depuis très petit, un passionné de l’enseignement. Je me souviens que très tôt, dès que je trouvais ou découvrais quelque chose de nouveau, il fallait que je trouve quelqu’un à qui le transmettre. Ce que j’apprenais en classe, je jouais à l’enseigner immédiatement à d’autres… J’avais commencé la flûte traversière et après trois cours je montrais à d’autres amis, des jeunes enfants comme moi, comment souffler dans la flûte. D’ailleurs lorsque que j’ai suivi la Formation Feldenkrais, tous les soirs pendant les sessions de formation, j’avais mes propres groupes d’élèves (puisque j’étais déjà enseignant pour la voix et le mouvement), et je leur redonnais les leçons que j’avais expérimentées et vécues dans la journée. Quand je vous demande : « Qu’est-ce que c’est la Méthode Feldenkrais », que répondez-vous ?Je suis comme tout le monde et j’ai souvent du mal à répondre à cette question parce qu’il y a autant de façons de voir cette méthode et ce travail que de façons de l’enseigner, de la recevoir aussi, en tant que personne suivant une leçon. Et quels sont ces principes ?Ce sont des principes de vie et de bon sens. Il y en a un par exemple que nous avons abordé aujourd’hui dans une formation que j’anime et qui est « peut-on toujours aborder les choses d’une façon différente ? ». Donc, un des principes c’est tout simplement d’aller dans l’inhabituel pour redécouvrir comment l’habituel être plus confortable. Il y a aussi beaucoup d’autres principes. L’un d’eux, très intéressant, est que nous sommes organisés par rapport au champ de gravitation et que si l’on veut explorer et découvrir, demander à notre système nerveux de s’adapter, ajuster et créer, on peut tout simplement changer de positionnement par rapport à la force de gravitation (développer la même action, le même mouvement dans une autre position, allongé sur le côté, sur le ventre, à quatre pattes, assis, debout…), et cela permet d’avoir des sensations très différentes, nouvelles, nourrissantes… Un autre autre principe tout à fait important, c’est que l’être humain fonctionne d’après l’image qu’il a de soi, c’est-à-dire une image, une représentation de soi qui s’est construite et développée au fur et à mesure de ses expériences comme un très jeune enfant et puis comme un adulte aussi. Et ce que l’on cherche à développer dans notre travail, c’est de donner l’occasion à chacun et à chacune de restaurer cette image de soi dans toute sa richesse, dans tout son dynamisme, dans sa différenciation. Plus on se connaît, se représente soi-même d’une façon plus riche, plus dans la vie on aura des actions et des réactions qui seront pertinentes. Un autre élément essentiel, c’est l’adaptation et l’ajustement. On ne peut pas avoir de vie libre et d’action cohérente par rapport à l’environnement, par rapport à nos émotions, par rapport à nos intentions, si nous ne développons pas cette capacité d’adaptation et d’ajustement. Et cette méthode me passionne et c’est cette façon de travailler qui me passionne parce qu’elle ouvre un peu le champ de possibles. Qu’est-ce que « La Prise de Conscience par le Mouvement® » ?Le docteur Feldenkrais, dans sa pratique et en fonction des périodes, a développé deux démarches particulières qui sont tout à fait reliées par leurs principes, mais différentes dans leurs applications. Donc, le professeur va guider ses élèves avec sa voix, avec le langage, il les guide dans tout un processus et des séquences d’explorations dans lesquelles la recherche -comment réaliser le mouvement, comment s’organiser- est plus importante que ce que l’on fait ou en tout cas que ce que l’on réussit. Le résultat qui compte, c’est le cheminement, c’est comment on va vers, qu’est-ce qu’on met en jeu ? Donc, le professeur passe sa séance à attirer l’attention, à proposer d’écouter kinestésiquement, c’est-à-dire par les sensations que l’on a de ce que l’on fait, et crée des variations qui vont permettre d’éclairer, qui vont permettre de chercher d’autres façons de faire, qui vont permettre de s’écouter différemment, de redevenir curieux par rapport à soi-même, parce qu’on sait très bien que beaucoup de limitations sont liées à sa façon de s’écouter, de se regarder, du point de vue que l’on a par rapport à soi-même, par rapport à ce qu’il faudrait faire. On a tous eu une éducation qui est très normative et là, dans notre travail, on essaie, plutôt que de donner la norme, de faire émerger ce qui est bon pour la personne, ce qui est fonctionnel pour l’être humain, ce pour quoi nous sommes faits. Autant la base d’Intégration Fonctionnelle, c’est-à-dire la leçon d’un professeur et son élève guidé par les mains est intéressante parce qu’elle apporte des éclairages, parce qu’elle permet de faire travailler des personnes qui ne rejoindraient pas le groupe, parce qu’elle permet d’aller plus loin à certains moments, autant la leçon de Prise de Conscience par le Mouvement® est une prise en charge autonome de son propre devenir et pour moi c’est tout-à-fait essentiel. Il ne s’agit pas de régler le petit problème que l’on a à un moment donné de sa vie, mais il s’agit de continuer d’apprendre et de se développer. Je trouve que la forme de la Prise de Conscience par le Mouvement® (c’est-à-dire les leçons collectives) est particulièrement adaptées pour cela. C’est une leçon individuelle dans le cadre d’un groupe, c’est une leçon dans laquelle tout ce qui est dit au voisin, tout ce qui est dit à l’ensemble du groupe est une occasion de se questionner soi-même et enrichit l’expérience. Et je crois que cette approche pédagogique permet de développer, de façon très fondamentale, tous les instruments nécessaires pour que la vie soit plus facile, plus riche et plus fonctionnelle, c’est pour çà qu’elle me passionne. Et elle me passionne aussi parce que quand on a quelques personnes devant soi, cela peut être quatre personnes, cela peut être vingt, cela peut être plus, il y a une richesse de fonctionnement différent, une richesse de créativité chez toutes ces personnes qui sont devant nous qui nourrissent l’interaction et qui nourrissent notre capacité à créer des variations, à être inventifs, à renouveler toujours, et c’est cela qui fait que c’est passionnant : on n’est pas enfermé dans une pratique ou dans quelque chose que l’on a déjà fait, on est dans la redécouverte à chaque fois parce que cela s’adresse à des personnes différentes qui ont des questionnements différents. |